Texte rédigé dans le cadre de l’exposition
Amours marguerites et troubadours,
Les chantiers-résidences et DDAB
CAC Passerelle (Brest)
“Toute sorte de biens comblera nos familles,
La moisson de nos champs lassera les faucilles,
Et les fruits passeront la promesse des fleurs.”
Malherbe, “Prière pour le roi allant en limousin”
Roses, marguerites et mimosa parsèment l’exposition. Les fleurs au propre comme au figuré, depuis le titre jusque dans les vases donnent des couleurs, suggèrent une odeur. Emma Seferian qui avait dans ses précédents travaux abordé le thème de la domesticité crée d’emblée ici le sentiment d’une familiarité. Il y a Face au miroir, cette treille-porte manteaux à l’entrée, où un miroir vient dédoubler l’espace d’exposition qui crée le trouble. Il y a Pour fleurir, ce guéridon et ces napperons autour desquels l’on tourne avec ce sentiment de les avoir déjà vu. Il y a Les lustres qui éclairent, ces chandeliers un peu bringuebalant qui à défaut d’apporter la lumière participent au décor. En mixant des éléments d’un mobilier générique trouvé aux encombrants, l’artiste joue sur le déjà-vu, des images d’un intérieur daté qu’à défaut d’avoir vécu nous pouvons nous représenter par différentes représentations. Au travers de quelques gestes, de peinture ou d’assemblage, elle déplace des objets communs et transforme un landau en fer forgé en une cage ou réemploi un lutrin du même métal pour offrir aux visiteurs la partition de “Amours, marguerites et troubadours”.
Emma Seferian est DJ et sa pratique du son influence plus largement toute sa pratique. Bien sûr la bande son qui baigne l’espace d’exposition en est la manifestation la plus concrète. Elle installe une ambiance, au sens phénoménologique que Bruce Bégout explicite dans son ouvrage Le concept d’ambiance¹ c'est-à-dire une présence diffuse autant qu’un attrait affectif. Les voix que nous entendons, sans nécessairement pouvoir discerner ou écouter ce qu’elles ont à nous dire, recréent l’entourage de l’artiste. Les voix familiales ou amicales qui entonnent une chanson traditionnelle, déclament un poème d’aujourd’hui ou revisitent une balade pop en lalala influent sur l’espace que découvre le visiteur. L’espace, sans pour autant reconstituer littéralement un domicile, recrée l’atmosphère d’un foyer. L’artiste, par touches de couleurs, autant que par nappes sonores installe quelque chose qui excède la vision, une aura. Les objets rayonnent ; les jeux d’échos entre les formes installent une profondeur et les jeux de relations entre l’artiste et sa communauté créent un réseau. Au vernissage, c’est une amie de l’artiste qui assurait le concert et ces invitations réciproques qui poursuivent un apprentissage mutuel, des ponts entre les pratiques des unes et des autres sont tout sauf anodines.
Le travail de correspondance crée des lieux ou plutôt des intervalles qui peuvent être habités. Plus qu’un ready-made, Filles du vent est ainsi un condensé d’histoire familiale. La trame de ce canevas, somme toute classique et prédéterminée, trouve sa valeur dans les échanges qu’il a généré entre Lucie, Marie et Sylvie ; de la France où il a été acheté et commencé au Liban où il a été terminé. Exposé à présent à Brest, ce sont les quelques lignes d’explications de la main de la soeur de l’artiste qui l’installent de plein pied dans l’exposition ; une entreprise de dévoilement familiale comme bien sûr on en a vu depuis Sophie Calle, mais avec le tremblement d’une écriture manuscrite. Emma Seferian ainsi semble-t-il qu’une nouvelle génération d’artistes, se réapproprie le concept de mythologie personnelle qui s’est développé dans les années 1970 pour évoquer l’imagerie d’une famille de la diaspora arménienne. Le canevas Prisons de roses, accroché comme un pendant, est cette fois de la main de l’artiste. On y retrouve des références visuelle qui font penser au peintre Martiros Sarian dont la toile Octobre à Yerevan (1961) est citée comme référence par Emma Seferian. Dans cette toile qui montre en face d’un paysage montagneux archétypal de l’Arménie de nombreux fruits, on reconnaît les grenades, symbole de résurrection et de vie éternelle que l’on retrouve ensuite à différents endroits de l’exposition, au croisement d’autres références.
Les oeuvres La couleur de la grenade (Hommage à Parajdanov) et Que pleure donc Sayat Nova sont ainsi très clairement des clins d'œil. Le film Sayat Nova - La couleur de la grenade agit comme un révélateur pour Emma Seferian qui cherche à renouer avec la culture arménienne de sa famille. Son réalisateur, le soviétique d’origine arménienne, Sergueï Paradjanov mêle les influences dans ce film qui se veut une évocation libre du poète et troubadour Sayat Nova. Il crée des images fortes, en puisant dans un vocabulaire iconographique traditionnel qui lui vaudra la reconnaissance des cinéphiles du monde entier et les foudres du parti communiste soviétique. L’artiste poursuit ce travail de métissage en allant chercher des motifs dans les enluminures de bibles arménienne comme on le voit dans les céramiques des Sémiophores sans craindre de de créer des frictions avec d’autres objets comme une planche de skateboard pour Les oiseaux du ciel (skate bird). Ces œuvres inspirées des marges définissent ainsi les bordures d’un espace intérieur, des seuils qui nous permettent de passer d’une culture à une autre.
Répartis dans l'espace d’exposition, les œuvres avec leurs titres instillent comme les extraits d’un poème ; fragments de sens, impressions, sensations, elles évoquent plus qu’elles désignent. Au travers de la série de toiles Elle fut la sienne, la nôtre un instant, on reconnaît le sujet ou plutôt le décor d’une miniature religieuse. Voici l’édicule, la chaise et la place d’un évangéliste absent. Les variations de couleurs sur ces peintures aux techniques mixtes ont quelque chose d’haptique, la sensualité des pastels gras, la brillance de l’acrylique témoignent d’un plaisir du geste. La touche enlevée comme si elle était appliquée au doigt traduisent un enthousiasme quand l’application de la feuille d’or avec toutes ses connotations religieuses appellent au sacré. Cette réappropriation pleine de vie d’une image canonique permet à Emma Seferian d’échapper à l’idée d’une histoire monolithique. Avec “Amours, marguerites et troubadours”, titre par ailleurs emprunté à un épisode de la série Gilmore Girls, l’artiste embrasse la possibilité des récits multiples, enchâssés, des récits chantés et des récits-poèmes. Une manière de célébrer des retrouvailles et de futures rencontres.
¹ B. Bégout, Le Concept d'ambiance. Paris, Seuil, Ordre Philosophique, 2020
Texte rédigé dans le cadre de l’exposition
Amours marguerites et troubadours,
Les chantiers-résidences et DDAB
CAC Passerelle (Brest)
“Toute sorte de biens comblera nos familles,
La moisson de nos champs lassera les faucilles,
Et les fruits passeront la promesse des fleurs.”
Malherbe, “Prière pour le roi allant en limousin”
Roses, marguerites et mimosa parsèment l’exposition. Les fleurs au propre comme au figuré, depuis le titre jusque dans les vases donnent des couleurs, suggèrent une odeur. Emma Seferian qui avait dans ses précédents travaux abordé le thème de la domesticité crée d’emblée ici le sentiment d’une familiarité. Il y a Face au miroir, cette treille-porte manteaux à l’entrée, où un miroir vient dédoubler l’espace d’exposition qui crée le trouble. Il y a Pour fleurir, ce guéridon et ces napperons autour desquels l’on tourne avec ce sentiment de les avoir déjà vu. Il y a Les lustres qui éclairent, ces chandeliers un peu bringuebalant qui à défaut d’apporter la lumière participent au décor. En mixant des éléments d’un mobilier générique trouvé aux encombrants, l’artiste joue sur le déjà-vu, des images d’un intérieur daté qu’à défaut d’avoir vécu nous pouvons nous représenter par différentes représentations. Au travers de quelques gestes, de peinture ou d’assemblage, elle déplace des objets communs et transforme un landau en fer forgé en une cage ou réemploi un lutrin du même métal pour offrir aux visiteurs la partition de “Amours, marguerites et troubadours”.
Emma Seferian est DJ et sa pratique du son influence plus largement toute sa pratique. Bien sûr la bande son qui baigne l’espace d’exposition en est la manifestation la plus concrète. Elle installe une ambiance, au sens phénoménologique que Bruce Bégout explicite dans son ouvrage Le concept d’ambiance¹ c'est-à-dire une présence diffuse autant qu’un attrait affectif. Les voix que nous entendons, sans nécessairement pouvoir discerner ou écouter ce qu’elles ont à nous dire, recréent l’entourage de l’artiste. Les voix familiales ou amicales qui entonnent une chanson traditionnelle, déclament un poème d’aujourd’hui ou revisitent une balade pop en lalala influent sur l’espace que découvre le visiteur. L’espace, sans pour autant reconstituer littéralement un domicile, recrée l’atmosphère d’un foyer. L’artiste, par touches de couleurs, autant que par nappes sonores installe quelque chose qui excède la vision, une aura. Les objets rayonnent ; les jeux d’échos entre les formes installent une profondeur et les jeux de relations entre l’artiste et sa communauté créent un réseau. Au vernissage, c’est une amie de l’artiste qui assurait le concert et ces invitations réciproques qui poursuivent un apprentissage mutuel, des ponts entre les pratiques des unes et des autres sont tout sauf anodines.
Le travail de correspondance crée des lieux ou plutôt des intervalles qui peuvent être habités. Plus qu’un ready-made, Filles du vent est ainsi un condensé d’histoire familiale. La trame de ce canevas, somme toute classique et prédéterminée, trouve sa valeur dans les échanges qu’il a généré entre Lucie, Marie et Sylvie ; de la France où il a été acheté et commencé au Liban où il a été terminé. Exposé à présent à Brest, ce sont les quelques lignes d’explications de la main de la soeur de l’artiste qui l’installent de plein pied dans l’exposition ; une entreprise de dévoilement familiale comme bien sûr on en a vu depuis Sophie Calle, mais avec le tremblement d’une écriture manuscrite. Emma Seferian ainsi semble-t-il qu’une nouvelle génération d’artistes, se réapproprie le concept de mythologie personnelle qui s’est développé dans les années 1970 pour évoquer l’imagerie d’une famille de la diaspora arménienne. Le canevas Prisons de roses, accroché comme un pendant, est cette fois de la main de l’artiste. On y retrouve des références visuelle qui font penser au peintre Martiros Sarian dont la toile Octobre à Yerevan (1961) est citée comme référence par Emma Seferian. Dans cette toile qui montre en face d’un paysage montagneux archétypal de l’Arménie de nombreux fruits, on reconnaît les grenades, symbole de résurrection et de vie éternelle que l’on retrouve ensuite à différents endroits de l’exposition, au croisement d’autres références.
Les oeuvres La couleur de la grenade (Hommage à Parajdanov) et Que pleure donc Sayat Nova sont ainsi très clairement des clins d'œil. Le film Sayat Nova - La couleur de la grenade agit comme un révélateur pour Emma Seferian qui cherche à renouer avec la culture arménienne de sa famille. Son réalisateur, le soviétique d’origine arménienne, Sergueï Paradjanov mêle les influences dans ce film qui se veut une évocation libre du poète et troubadour Sayat Nova. Il crée des images fortes, en puisant dans un vocabulaire iconographique traditionnel qui lui vaudra la reconnaissance des cinéphiles du monde entier et les foudres du parti communiste soviétique. L’artiste poursuit ce travail de métissage en allant chercher des motifs dans les enluminures de bibles arménienne comme on le voit dans les céramiques des Sémiophores sans craindre de de créer des frictions avec d’autres objets comme une planche de skateboard pour Les oiseaux du ciel (skate bird). Ces œuvres inspirées des marges définissent ainsi les bordures d’un espace intérieur, des seuils qui nous permettent de passer d’une culture à une autre.
Répartis dans l'espace d’exposition, les œuvres avec leurs titres instillent comme les extraits d’un poème ; fragments de sens, impressions, sensations, elles évoquent plus qu’elles désignent. Au travers de la série de toiles Elle fut la sienne, la nôtre un instant, on reconnaît le sujet ou plutôt le décor d’une miniature religieuse. Voici l’édicule, la chaise et la place d’un évangéliste absent. Les variations de couleurs sur ces peintures aux techniques mixtes ont quelque chose d’haptique, la sensualité des pastels gras, la brillance de l’acrylique témoignent d’un plaisir du geste. La touche enlevée comme si elle était appliquée au doigt traduisent un enthousiasme quand l’application de la feuille d’or avec toutes ses connotations religieuses appellent au sacré. Cette réappropriation pleine de vie d’une image canonique permet à Emma Seferian d’échapper à l’idée d’une histoire monolithique. Avec “Amours, marguerites et troubadours”, titre par ailleurs emprunté à un épisode de la série Gilmore Girls, l’artiste embrasse la possibilité des récits multiples, enchâssés, des récits chantés et des récits-poèmes. Une manière de célébrer des retrouvailles et de futures rencontres.
¹ B. Bégout, Le Concept d'ambiance. Paris, Seuil, Ordre Philosophique, 2020